Le principe saussurien de l’altération par continuité est bien illustré par l’évolution des danses grecques armées, lors des cérémonies funéraires. Dès l’époque archaïque, des manifestations fort bruyantes qui accompagnaient les funérailles et les danses armées, effectuées pour la même occasion, avaient une fonction magique. A la mort du roi, les Spartes, en frappant fort leurs outils en métal, essayaient de produire un bruit qui éloignât toute force maléfique capable de perturber le bon déroulement des rites et le repos du défunt. De telles pratiques mettent en évidence la valeur sémantique du bruit comme l’une des composantes importantes pour l’accomplissement du rituel. Dans l’iconographie de l’antiquité classique grecque on représentait encore des séquences de danses aux armes dans un contexte funéraire. Dans l’antiquité classique, les danses aux armes, devant le défunt, étaient destinées à rappeler aux concitoyens les faits de bravoure du décédé et/ou de lui présenter les derniers honneurs dans le cadre d’une festivité militaire. Au niveau de l’expression, le discours chorégraphique a donc survécu. Mais la signification initiale, rituelle-magique, s’est perdue ; elle a été remplacée par une autre, laïque, purement civique ; le rapport entre le signifiant et le signifié a continué à se « déplacer» dans la danse pyrrhique, tout comme dans la dionysiaque. Tout d’abord rite sacré, ensuite rituel civique, la danse aux armes se convertit finalement en une danse de spectacle profane. La continuité de l’expression entraîne ainsi l’altération de la signification. Le « déplacement» du rapport initial entre le signifiant et le signifié n’apparaît pas uniquement dans certaines figures chorégraphiques, il intervient également dans la virtuosité technique. Offrande à la divinité et signe de la contamination de son essence surnaturelle, la virtuosité devient au fil du temps un but en soi, signe des aptitudes du danseur et de sa performance esthétique et technique. Le rapport sémiotique entre le signifiant et le signifié se déplace ainsi de la valeur initiale rituelle vers une autre sécularisée, ludique et/ou esthétique. La signification du discours chorégraphique change donc en même temps que son destinataire, qui n’est plus la divinité, mais un public humain. Le sens du « déplacement» du rapport initial entre le signifiant et le signifié va graduellement de « l’érosion du sacré» vers « la quête de la beauté pour elle-même» (Bourcier, 1994, p. 15) et la gratuité du jeu en soi. Finalement vidées de leur sens religieux, des figures telles que « le pont», « la roulade», « la roue» − offrandes de l’effort, par la difficulté de leur réalisation − étaient exécutées par des prêtresses-danseuses qui vénéraient et accueillaient ainsi le dieu Amon pendant son voyage annuel à travers le Nil. Des bas-reliefs et des peintures des temples égyptiens l’attestent.  A Louxor, par exemple, une séquence représentée dans un temple, présente le dieu qui était accueilli par un cortège de danseuses-prêtresses, qui faisaient le pont en saisissant leur chevilles par les mains (Bourcier, op. cit., p. 7).            A good illustration of the Saussurean principle of alteration through continuity is the semantic evolution of Greek dances with arms, during funerary ceremonies. As early as an archaic age, very noisy manifestations used to accompany funerals and dancing with arms, performed on the same occasions, had a magical function. For instance, on the death of their king, the Spartans would strike their metal tools forcefully, in an attempt to generate noise, in order to drive away all evil influence, which might have disturbed the good order of the rites and the rest of the dead person. Such practices highlight the semantic value attributed to noise, like one of the significant elements of performing a rite. The iconography of classic Greek antiquity still contained sequences of dances with arms in a funerary context. In classical antiquity, dancing with arms in front of a deceased person, had the role of reminding the fellows about his brave deeds and/ or honouring his memory during a military ceremony. In terms of expression, the choreographic discourse has been preserved; but the initial, ritualistic-magic signification has been lost and replaced by a secularized, purely civic one. Moreover, the relation between the signified and the signifier from the pyrrhic, like in the Dionysiac dance, keeps “shifting”. Therefore, during dance history, the continuity of the expression enables the alteration of its respective signification, as Saussure observed concerning the linguistic systems. Not only certain choreographic figures, but even the technical virtuosity itself shows the feature of the “shift” in the initial relation between signified and signifier. An offering to divinity and a sign of the contamination with its supernatural essence, virtuosity becomes, in time, a purpose in itself, a mark only of the dancer’s skills, technical and aesthetic performance. The semiotic relation between signified and signifier shifts from the initial ritualistic value towards a secularized, ludic and/ or aesthetic one. The signification of the choreographic discourse changes along with its receiver, who is no longer divinity, but a human audience. The orientation of “shifting” the relation between the signified and signifier moves towards the “erosion of the sacred” and the “search for beauty for beauty’s sake” (Bourcier, 1994, p. 15) or of the gratuity of the game itself. Much later devoid of their cultic meaning, figures such as the back “bridge”, the “somersault”, air tumbling, the “cartwheel” – an offering represented by the effort put in performing them – were executed, as shown in the bas-relief and paintings from the Egyptian temples, by dancing priestesses who thus worshipped and welcomed god Amon during his annual journey on the Nile. At Luxor, for example, a sequence represented in a temple shows how the god was welcomed by a group of dancing priestesses, who were arching their bodies in a back bridge, grasping their ankles with their hands (Bourcier, op. cit., p. 17).