Processus contraire à la désémantisation, la résémantisation est l’opération par laquelle certains contenus partiels, antérieurement perdus, souvent en faveur d’une unité discursive plus large, regagnent leur valeur sémantique première (Greimas & Courtès, 1979, p. 316). Le trajet de la théâtralisation (Delavaud-Roux, 1995, p. 67) des figures chorégraphiques est souvent un trajet de la désémantisation par l’inscription de ces figures dans un nouveau contexte (purement esthétique ou ludique), différent du contexte magico-religieux d’origine. Ainsi, la représentation des Ménades sur la céramique antique souligne le passage, au fur et à mesure, des attaques spontanées d’« hystérie collective» (Dodds, 1986, p. XVI) et des premières formes d’« hystérie» apprivoisée (Ibidem) par le rite, vers des formes de culte d’une violence atténuée et, finalement, vers des éléments chorégraphiques plutôt « formels qu’émotionnels», codifiés du point de vue esthétique, dans un « style maniériste» (Delavaud-Roux, 1995, p. 47). En ce sens, l’évolution stylistique est symptomatique. Les mouvements d’inclinaison et de tournement du corps – marque de la chorégraphie antique des Ménades – deviennent graduellement moins brusques que les mouvements d’origine. En même temps que certaines particularités kinésiques, les accessoires changent aussi; les Ménades représentées au IVe siècle av. J.-C. sur les ornements en céramique portent des chaussures, à la différence de leurs coreligionnaires qui sont pieds nus et qui les précèdent de quelques siècles. La danse des Ménades reste donc essentiellement rituelle, mais plus on se rapproche de l’époque hellénistique, plus cette danse acquiert une dimension théâtrale, et la codification esthétique devient plus rigoureuse (Delavaud-Roux, op. cit., p. 47). Pourtant, la « théâtralisation» n’est pas irréversible. Au fur et à mesure que la danse perd de sa violence originaire et s’esthétise, des poussées d’agressivité primaire surgissent encore, de temps en temps, et sont confirmées par l’iconographie, en tant que symptômes de la récidive des hystéries religieuses (Ibidem). Le rétablissement des anciennes significations peut être vu comme un processus de résémantisation tardive et sporadique, de la kinésique archaïque des Ménades. Les significations rituelles de ces chorèmes[1] tiennent davantage, de nos jours, du domaine d’une archéologie sémantique du non verbal ; en échange, les figures d’expression correspondantes ont survécu. Intégrés dans un autre code, ludique-esthétique, bien des chorèmes illustrent de la sorte, par leur évolution, non seulement un processus de « stylisation», de codification « maniériste» (Delavaud-Roux 1995) de l’expression, mais aussi l’un de la désémantisation graduelle (c’est-à-dire, de la disparition du rapport initial entre le signifiant et le signifié). De tels chorèmes attestent la mutabilité du signe comme « déplacement» dans le temps, du rapport entre « l’idée et le signe», comme disait Saussure. Cette codification « maniériste» de l’expression chorégraphique est mentionnée en formules et en contextes différents par J. Robinson (1981) qui note le risque de « la sclérose par codification», et par M. H. Delavaud-Roux, qui observe « le style maniériste de nos danseurs » (op. cit., p. 110). Tel qu’avait remarqué Saussure (2011) pour l’expression verbale, le signe se trouve dans la situation de « s’altérer» parce qu’il continue; ainsi, « la fidélité au passé n’est que relative». Le principe de l’altération se fonde paradoxalement sur le principe de la continuité : cette dernière annule la liberté d’innovation de l’utilisateur, mais soutient en même temps, l’altération des rapports d’origine entre le signifiant et le signifié. On peut parler donc d’une « dialectique » de la mutabilité et de l’immutabilité du signe (Saussure, op. cit.). Aussi bien l’expression verbale que la chorégraphique sont conditionnées par deux facteurs : le temps et la société. Le temps permet aux forces sociales qui agissent sur le système sémiotique de développer leurs effets (Saussure, op. cit.). Certaines figures chorégraphiques peuvent avoir pour origine, comme nous l’avons déjà dit, une finalité magico-religieuse. Au fil du temps, ce signifié premier peut être remplacé, avec ou sans l’altération notable du signifiant, par un signifié second (esthétique et/ou ludique). Aujourd’hui, de tels signifiants peuvent encore évoquer connotativement les anciens contenus magico-religieux, mais ils ne les signifient plus de manière dénotative.
[1] On peut appeler ainsi les éléments ou les figures chorégraphiques, par analogie avec les niveaux du langage verbal (phonèmes, morphèmes).
A reversal of the process of desemantization, resemantization is defined by Greimas and Courtès as the operation through which “certain partial contents, previously lost, often to the benefit of a wider discursive unit, retrieve their initial semantic value” (Greimas & Courtès, 1979, p. 316). Often, the route of “theatricalizing” (Delavaud-Roux, 1995, p. 67) choreographic figures is that of desemantizing them by inscribing them into a new (purely aesthetic or ludic) context, different from the original, magic-religious one. For example, the representation of Maenads on antique ceramics reveals the shift, in time, from “spontaneous attacks of mass hysteria” (Dodds, 1986, p. XVI) and the first forms of “hysteria” domesticized through rite (Ibidem), to cult forms with an attenuated violence and, eventually, choreographic elements which are rather “formal than emotional”, aesthetically encoded in a “mannerist style” (Delavaud-Roux, 1995, p. 47). The stylistic evolution is, in this respect, symptomatic. The bending and turning movements – a mark of maenadic choreography – executed by women dancers closer to us in time, are less abrupt than the original ones. Along with certain movement particularities, the props have also changed: the Maenads represented on ceramics from the 4th century BC wear shoes, unlike their yet barefooted co-religious fellows, who had preceded them a few centuries before. The maenadic dance remains essentially a ritual, but the closer we get to the Hellenistic age the more theatrical it becomes, and its aesthetic encoding becomes more rigorous (Delavaud-Roux, op. cit., p. 47). However, the “theatricalization” is not irreversible. As the dance loses from its original violence and becomes aestheticized, there still occur – as iconography shows – bursts of primary aggressiveness, symptoms of recurring religious hysteria (Ibidem). Retrieving the old significations may be regarded like a process of resemantization – late and sporadic – of maenadic kinesics. Today, most of the magic and/ or religious significations of chorèmes[1] belong to the area of a semantic archaeology of the non-verbal; nevertheless, their respective kinesic figures have survived. Integrated into another code, ludic-aesthetic, many chorèmes illustrate, through their evolution, not only a process of “stylization” and “mannerist” encoding of the expression (Delavaud-Roux 1995), but also one of gradual desemantization (namely, of the disappearance of the initial relation between signified and signifier). This “mannerist” encoding of the choreographic expression is mentioned, in different formulas and contexts, by J. Robinson (1981) – who draws attention to the risk of “sclerosis through encoding” –, and by M. H. Delavaud-Roux, who notices the “mannerist style of our dancers” (op. cit., p. 110). As Saussure (2011) said, concerning the verbal expression, the sign is in the situation of being “altered” as a consequence of its “continuation”; so, the “fidelity towards the past is but relative”. The principle of alteration relies on that of continuity: continuity cancels the user’s freedom of innovation but supports, at the same time, the alteration of the original relations between the signified and the signifier. Therefore, we may speak about a “dialectics” of the mutability and immutability of the sign (Saussure, op. cit.). Both the verbal and the choreographic expression are conditioned by two factors: time and society; time enables the social forces which affect the system of signs to develop its effects (Saussure, op. cit.). At the origin of certain choreographic figures there may stand – as we have already mentioned – a magic-religious reason. In time, this first signified may be substituted, with or without a visible alteration of the signifier, by a secondary signified (aesthetic and/ or ludic). Today, such significations may still connotatively, but not denotatively, evoke the old magic-religious contents.
- [1] We may name the choreographic elements/figures by analogy with the levels of the verbal language (phonemes, morphemes).