Le plus souvent, le degré d’évolution technique est inversement proportionnel au degré de conservation de la signification magico-religieuse originaire. Par exemple, en Attique, dans la période 600-550 av. J.-C., le perfectionnement de la technique de danse coïncide avec la perte, en grande partie, de la fonctionnalité rituelle initiale. Le trajet de la désémantisation progressive est jalonné par une série de configurations corporelles qui anticipent, d’une manière fort précise, certains éléments du ballet classique ou diverses tendances de la danse contemporaine, ou encore d’autres styles et courants (cultes ou folkloriques), plus proches de nous et certainement, sécularisés. Sur la céramique attique, par exemple, figurent des instantanés chorégraphiques intégrés dans un contexte dionysiaque, qui évoquent à Delavaud-Roux les sauts du type grand-jeté du ballet classique ou de la danse moderne. Delavaud-Roux (op. cit., p. 64) pense avoir repéré sur des ornements céramiques d’Attique un saut comparable au coupé-jeté en tournant, et aussi un saut avec un demi-tour exécuté en l’air, juste avant de retrouver le sol. Sur des représentations béotiennes des danses dionysiaques, toujours Delavaud-Roux identifie des mouvements fréquents de rotation de la jambe, pareils au «rond-de-jambe effectué par les danseuses de french-cancan» (op. cit., p. 68). Sur la céramique représentant des séquences du kômos attique, il y a des danseurs en demi-pointes (Ibidem, p. 98), une manière de danse pratiquée beaucoup plus tard par Isadora Duncan. Cherchant à se soustraire aux canons du ballet classique, Isadora va tenter de retrouver une source d’authenticité dans les anciennes représentations grecques du mouvement. En demi-pointes dansent aussi certaines Ménades représentées sur la céramique grecque (Delavaud-Roux, op. cit., p. 13). Lors de la fête d’Artémis Karyatis et des Nymphes (Bourcier, op. cit., p. 39), les filles des familles les plus nobles de Sparte tournaient en demi-pointes, les mains sur la poitrine ou les bras tendus. Dans des anciennes images égyptiennes apparaissent la rotation sur place et la décomposition d’un mouvement giratoire qui annonce le spectaculaire fouetté du ballet classique (Ibidem, p. 17). Le scénario rituel de la danse dionysiaque en couple, surtout la danse des Satyres avec les Ménades peut être à l’origine d’un pas de deux (Delavaud-Roux, op. cit.). Tout comme dans le classique «pas de deux» qui finit dans le ballet académique par un porté, l’apogée de la danse mixte dionysiaque est représentée par l’«enlèvement» de la Ménade qui est «portée» sur les bras ou sur les épaules. Les anciennes significations rituelles de certains gestes et figures chorégraphiques se sont donc perdues, soit partiellement, soit totalement; un ancien chorème peut avoir longtemps survécu, mais le plus souvent désémantisé et actualisé dans un contexte profane. La virtuosité (démontrée par la complexité des pas et par l’emploi des accessoires), était, chez les Grecs, une marque de la nature exceptionnelle des adeptes de Dionysos, du moins durant les rites de célébration. Les danses aux assiettes ou tout autre type de plats, que les Grecs pratiquent aujourd’hui comme divertissement profane, sont une continuation partielle des danses rituelles pratiquées par les kômastes dans l’antiquité (Delavaud-Roux, op. cit., p. 98). Ces danses consistaient, entre autres, à maintenir un plat en équilibre sur une main ou sur un pied, une posture compliquée par des mouvements de rotation (Ibidem). Nathaniel Pearce, résident en Abyssinie durant 1810-1819, décrit un schéma similaire de danse extatique indigène. Les Abyssins pris par la fièvre de la danse, sautaient avec un vase ou une bouteille de boisson sur la tête, sans en verser une goutte ou sans casser la bouteille, bien qu’ils adoptassent les postures les plus extravagantes (Pearce, apud Dodds, 1986, p. 169). Jadis sacrée, la virtuosité chorégraphique perd donc au fil du temps sa valeur rituelle initiale; mais elle est investie d’autres significations dans le nouveau contexte du divertissement laïc.

 

Often, the degree of technical evolution is inversely proportional with that of preserving the original magic-ritualistic signification. For instance, in Attica, during 600-550 BC, perfecting the art of dance is synchronized with a significant loss of the initial functions and values. The path of progressive desemantization is set out by a series of bodily configurations, which anticipate, with amazing precision, the ones characteristic either of classic ballet, or the various tendencies of contemporary dance, or other (cult or folk) styles and trends, closer to us in time and, obviously, secularized. So, Attic ceramics shows choreographic moments integrated into a Dionysiac context, sending to the grand-jeté from classic ballet or to leaps from modern dance. M. H. Delavaud-Roux (op. cit., p. 64) believes that she can even identify, on ceramic ornaments from Attica, an important moment from a leap performed “with demi-tour at landing, which makes it comparable to a coupé-jetéen tournant” and, also, a leap “with demi-tour performed in the air, right before landing”. In Boeotian ceramic representations of Dionysiac dances, the same researcher identifies, among others, frequent rotation movements of the shank, similar to those “rond-de-jambe performed by French-cancan dancers” (op. cit., p. 68). On the ceramics showing sequences from Attic kômos, there are represented dancers on demi-pointes (Ibidem, p. 98), a way of dancing practiced, much later, by Isadora Duncan. In an attempt to avoid the cannons of academic ballet, she will look for a source of authenticity in the old Greek representations of movements. The Maenads represented on Hellenic ceramics also dance on demi-pointes (Delavaud-Roux, op. cit., p. 13). With their hands on their chest or with arms stretched out, the girls from the noble families of Sparta would also perform turning movements on demi-pointes, during the celebration of Artemis Karyatis and the Nymphs (Bourcier, op. cit., p. 39). Old Egyptian images show turning movements and the decomposition of a circumvolution movement, which announces the spectacular fouetté from classic ballet (Ibidem, p. 17). The ritualistic scenario of the Dionysiac pair dance, especially that of Satyrs and Maenads, may constitute the origin of a pas de deux (Delavaud-Roux, op. cit.). Like in the classic pas de deux, which closes, in academic ballet, with a porté, the climax of Dionysiac mixed dance is the kidnapping of the Maenads. In the sequence of Dionysiac porté, the Maenad is lifted on the arms or shoulders. The ancient ritualistic significations of the choreographic gestures and figures have been completely or partially lost; certain chorèmes survive, nevertheless, desemantized and actualized in a profane context. Virtuosity, demonstrated by the complexity of the steps and the use of accessories, was for the Greeks, a mark of the exceptional nature of the worshippers of Dionysus, at least during celebration rites. Dancing with plates or other pots, performed today by the Greeks, is a distant continuation of ritualistic dances, practiced by kômastes in Antiquity (Delavaud-Roux, op. cit., p. 98). These consisted, among others, in balancing a pot on one arm or leg, a posture made even more difficult by turning movements (Ibidem). Nathaniel Pearce, a resident of Abyssinia between 1810-1819, describes a similar scheme of indigenous ecstatic dance: “I have seen them in these fits dance with a bruly, or bottle of maize, upon their heads without spilling the liquor, or letting the bottle fall, although they have put themselves into the most extravagant postures” (Pearce, as cited in E.R. Dodds, 1986, p. 169). Therefore, once sacred, choreographic virtuosity loses, in time, its original ritualistic value; but it is invested with other significations, in the new frame of secular entertainment.