L'(anti)Poétique théâtrale

de Mircea Eliade et Eugène Ionesco:

imagerie des «archétypes oubliés»

et poétique du «nonfiguratif»

Nicoleta Popa Blanariu

Faculté des Lettres, Université «Vasile Alecsandri», Roumanie

 

 

Résumé

 

Le théâtre d’Eugène Ionesco fait l’objet d’un paradoxe: son «avant-gardisme» spectaculaire se nourrit d’une vision essentiellement classique. Plus précisément, Ionesco envisage des «archétypes oubliés», et cherche à les «renouveler» sous l’aspect de l’ expression dramatique, tel qu’il dit lui-même. Son «antithéâtre» pousse ainsi à l’extrême le ressort expressif du genre. Ionesco ne s’essaye plus à un théâtre d’événements, ni à l’intrigue bien faite à la manière d’Ibsen et du drame realiste du XIX-ième siècle; tout au contraire, il tente l’expérience d’un théâtre voulu «abstrait», «nonfiguratif», dépourvu du référent extra-théâtral circonscrit par l’imitation vraisemblable (mimesis) que recommande Aristote; quelquefois, un théâtre d’énergie pure, préconceptuelle − sonore ou kinésique −, comme dans ses «anti-pièces» (La Cantatrice chauve, La Leçon).

Les nouvelles dites «fantastiques» de Mircea Eliade avancent également, d’une manière plus ou moins implicite, une certaine poétique du théâtre. Celle-ci repose essentiellement sur l’aptitude sotériologique de l’art. La figure exemplaire en est le Poète orphique. Chez Mircea Eliade, la thèse bien connue du «sacré camouflé dans le profane», épouse le principe-clé d’un «nouveau» théâtre. À son avis, le vrai théâtre croise l’ancien rituel, et le drame revient ainsi au dromenon; c’est-à-dire, à l’ancienne (re)présentation rituelle, de la tradition des cultes de mystères, censés révéler les grands mythes fondateurs et ce qu’ils disent de la destinée humaine.

Notre travail porte donc sur la remise en question du mécanisme théâtral de souche aristotélicienne, que tente à la fois Mircea Eliade et Eugène Ionesco, chacun à sa façon. On envisage principalement les aspects suivants:

a) tout d’abord, la poétique théâtrale dont quelques nouvelles de Mircea Eliade sont à même de rendre compte: Nouăsprezece trandafiri [Dix-neuf roses], În curte la Dionis [Dans la cour de Dionis], Incognito la Buchenwald [Incognito à Buchenwald], Uniforme de general [Uniformes de général] ;

b) deuxièmement, l’imaginaire de Ionesco vu par Eliade; la dissolution du «théâtre de l’absurde» (tel que le désignait Martin Esslin) dans un théâtre plutôt mythique, voire mystique (selon Marguerite Jean-Blain), «théâtre des origines» à la manière d’ Antonin Artaud et des «archétypes oubliés», comme disait Ionesco;

c) en troisième lieu, la dissolution chez Ionesco, d’une dichotomie essentielle de l’esthétique classique: tragique vs. comique; d’où la tragi-comédie sur laquelle repose symptomatiquement son antithéâtre;

d) enfin, l'(anti)théâtre d’ Eugène Ionesco − ou tel qu’il dit, son «théâtre abstrait» − en tant que  mise à l’oeuvre et mise à l’ épreuve d’une certaine poétique du «nonfiguratif», dont se réclame le dramaturge.

 

Mots-clés:  poétique, théâtre, absurde, abstrait, nonfiguratif, mimesis, rituel, archétype, Aristote, Artaud, Pirandello, Ionesco, Eliade

 

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